vendredi 22 août 2014

Les vols de zébus à Madagascar, un phénomène ancien et meurtrier



De nombreux articles de presse alarmistes ont dénoncé le lourd bilan humain relatif à de récents vols de boeufs dans le Sud de Madagascar, le phénomène y étant présenté comme nouveau, au moins par son ampleur. On peut mettre cette erreur sur le compte de trous de mémoire, cette dernière n’étant pas la principale qualité de certains journalistes, notamment à RFI. Une autre explication, moins plausible, serait d’ordre politique : on voudrait accuser de tous les maux l’actuel président de la république malgache... comme on l’a souvent fait pour ses prédécesseurs. 
Il suffira de lire « Le journal de Robert Drury » pour comprendre qu’au XVIIIe siècle déjà les vols de boeufs constituaient une activité importante, « le sport favori des gens du Sud » selon l’expression d’un administrateur français de 1915. C’est là d’ailleurs un des ressorts de la main mise française sur le Sud autour de 1900 : bien des mpanjaka se soumettent à Lyautey parce que cela représente la manière la plus sûre de se débarrasser de leurs ennemis, voleurs de zébus et enleveurs de femmes. J.M. Hoerner (1982) a répertorié stratégies et motivations des voleurs. Du vol d’initiation des adolescents bara aux vols organisés par des équipes lourdement armées avec la complicité de certains élus et fonctionnaires  corrompus, il y a une large gamme de vols. Le Moyen Ouest est bien une sorte de Far West sans chevaux ou mieux, comme nous le présentait le Cinema Novo des années 60, un Sertão parcouru de cangaceiros. Comme ces derniers, les voleurs les plus traditionnels sont couverts d’amulettes et armés de pétoires de fabrication locale. Pour celui qui est pris sur le fait ou après une course-poursuite, c’est le plus souvent la mort. Mais ce sont aussi les assaillants qui tuent ou posent des embuscades meurtrières aux poursuivants. C’est parfois village, ou fokontany, contre village. L’Etat intervient sévèrement durant la colonisation puis par moments après l'indépendance. Au début des années 80, plusieurs massacres sont dénoncés par Monja Joana, le chef charismatique du Monima : 65 personnes jetées dans une fosse commune à Ankera Belamoty, 42 cadavres jetés dans l’Onilahy à Benenitra, 72 morts à Befandriana. Une de ces grosses bavures est confirmée par le Père Pesle, curé de Belamoty. Il s’agit pour l'essentiel de victimes attribuées à l’action des forces de l’ordre. En fait il y en a beaucoup plus, relevant soit de la férocité des voleurs, soit de celle des victimes des vols, et il faut y ajouter des maisons brûlées et des cultures saccagées liées aux cycles attaque-représailles.
F. Raison Jourde et G. Roy (2010 : p. 372) mentionnent qu'en 1974 les vols de boeufs se font à telle échelle que mille gendarmes, l'armée et les parachutistes sont mobilisés dans une grande opération dans l'Ouest.
 Le conflit qui a opposé sur la commune de Maromby, en mai 2014, les deux fokontany d’Andranondambo et d’Ambatotsivala et s’est traduit par 22 morts et un flux de réfugiés vers les communes proches n’est qu’un avatar de vieilles traditions belliqueuses.  Cela se traduit par un grand nombre de réfugiés à Amboasary. Rendre l’Etat malgache responsable du phénomène, c’est prendre le risque de donner corps à des dynamiques centrifuges  elles aussi très anciennes.

A lire : 
Hoerner, Jean-Michel, 1982.- Les vols de boeufs dans le Sud malgache. Madagascar, Revue de Géographie, 41 : 85-105.

Raison-Jourde, Françoise et Roy, Gérard, 2010.– Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar : de Monja Joana à Ratsimandrava (1960-1975). Paris, Karthala, 487 p. 
Razafitsiamidy, Antoine, 1997.- Le vol de bœufs dans le Sud de Madagascar. Paris, INALCO, thèse de doctorat, 478 p.


Troupeau convoyé vers les Hautes Terres
Groupe de poursuivants de voleurs, armés de lances et de haches
Ambatotsivala (les présumés coupables de vols) Image Google, 2009
Andranodambo (les victimes du vol) Image Google

mercredi 6 août 2014

Le malgache, une langue dynamique : quelques emprunts de l'argot au français

Le malgache est actuellement une langue pleine de vie qui intègre à sa façon de nombreux termes étrangers. C'est particulièrement visible dans l'argot citadin étudié par Clément Sambo (1), un brillant enseignant de linguistique de l'université de Toliara. Nous y avons choisi quelques termes issus de la langue française, presque toujours détournés ou revisités avec beaucoup d'humour et de créativité.

(1) Sambo, C., 2001.- Langages non conventionnels à Madagascar. Argot des jeunes et proverbes gaillards. Paris, INALCO et Karthala, 392 p., un ouvrage à se procurer absolument (30€).

ALERETORO : conversation ennuyeuse - fr. aller-retour (qui tourne en rond).
AMIRALY : pauvre - fr. amiral (Ratsiraka, dont le pouvoir s’est traduit par un appauvrissement général).
AVANT-CENTRE : la seule dent qui reste devant - fr. avant-centre au football.
BOLENDAKA : chaudement vêtu - fr. blindé.
BOMBO VOANJO : goudron - frangache : la friandise constituée d'arachides enrobées de caramel.
BOROSY : la cajolerie - fr. la brosse.
BOTY : licencié, répudié - fr. (à coups de) botte.
DEBA : voyou - fr. (chef de) bande.
DEZAKA : en brousse, loin du progrès - fr. le désert.
DORO : neuf et beau - fr. d’origine.
ENSPKTERA : fiancé(e) - fr. inspecteur (parce qu’on doit toujours se présenter devant lui ou elle sous son meilleur jour).
KANARA : qui tremble de peur - fr. (froid de) canard.
KRANINA : doué. - fr. le crâne.
KRIKA : le piston (pour accéder à quelque chose). - fr. le cric de voiture.
KROAROZY : le vin - fr. la Croix-Rouge par opposition à la Croix-Bleue, ligue anti-alcoolique protestante.
LAGININA : en colère - fr. la guigne.
OUI : la prostituée - fr. (qui dit toujours) oui.
PLISYPLISY : la cotisation - fr. plus, plus.
RISIKA : pris en flagrant délit - fr. risque, risqué
SATILL : prétentieux - fr. stylé.
VINGT-SIX : la viande - Référence au repas amélioré du 26 juin, fête de l’Indépendance.
ZANTY : marcher pieds nus - fr.  (rouler sur la) jante 

(à suivre)